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La mort de la mort


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#1 didierc

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Posted 26 December 2008 - 11:33 PM


Un texte très intéressant paru le 18 décembre dans le quotidien économique et financier français "La Tribune" (source http://www.latribune...de-la-mort.html)

La mort de la mort

La génomique et les thérapies géniques, les cellules souches, la médecine des protéines-chaperons et des nanotechnologies réparatrices, l'hybridation humain-machine, le développement de toutes ces nouvelles connaissances vont permettre l'émergence d'une médecine de la résilience, œuvrant à un recul important de la mort. Ce progrès entraîne cependant des conséquences importantes pour l'espèce humaine, estime Laurent Alexandre, docteur en médecine.

La mort semblait une évolution biologique inévitable : la loi universelle de la vie. Le corps s'use progressivement, la médecine ne pouvant que ralentir cette dégradation inévitable. Pourtant, les découvertes biologiques récentes apportent une autre vision. La mort semble plutôt la conséquence d'une forme de "suicide cellulaire" qui se produit à un âge, différent selon les espèces... mais qui n'a rien d'obligatoire ni d'inévitable.

Très longtemps vécue entourée des proches, la mort s'est désocialisée, cachée et médicalisée à partir des années 1950. La techno-médecine va engendrer une seconde révolution : après la mort cachée et honteuse, sa biologisation et son grignotage technologique. Ce recul de la mort a déjà débuté avec le remplacement d'organes par la transplantation ou leur suppléance par des médicaments, ainsi qu'avec la médecine de la ressuscitation (réanimation lors des arrêts cardiaques, par exemple). Mais le processus va connaître une accélération foudroyante.

La mort de la mort sera la plus vertigineuse conséquence de ce que les spécialistes nomment la "grande convergence NBIC" (nanotechnologies, biologie, informatique et cognitique).

La génomique et les thérapies géniques, les cellules souches, la médecine des protéines-chaperons et des nanotechnologies réparatrices, l'hybridation humain-machine (dont les implants cochléaires utilisés dans les surdités neurologiques sont la plus spectaculaire réalisation à ce jour) permettent d'envisager une croissance de l'espérance de vie en bonne santé beaucoup plus rapide que ce que la société envisage généralement. Cette médecine de la résilience devrait repousser les limites de notre longévité dans des proportions inimaginables il y a seulement trente ans. Il est probable que l'espérance de vie doublera déjà au cours du XXIème siècle, et l'obtention d'une quasi-immortalité ne serait plus qu'une question de temps.

Ces perspectives, quel que soit leur horizon, sont inéluctables, compte tenu du potentiel synergique des quatre révolutions NBIC. Pour autant, il ne s'agit pas de tomber dans une quelconque techno-béatitude. Cette modification radicale de l'humanité va bouleverser en quelques générations tous nos rapports au monde : une puissante dialectique entre l'égotisme absolu et le partage est inscrite dans le devenir de la médecine de la résilience.

La médecine de la résilience deviendra le réacteur nucléaire de la société. Une espérance de vie très longue supposerait, en effet, une intervention biologique très précoce au début de la vie, notamment pour mettre en œuvre une programmation "épi-génétique". Le contrôle social exercé par le complexe médico-industriel générera des oppositions politiques et philosophiques majeures et la bio-politique deviendra l'épicentre d'un débat démocratique, profondément remanié par l'allongement de la vie.

La techno-médecine semblera légitime, en première analyse, et il faut bien admettre qu'aucune innovation médicale n'a été durablement bloquée par le pouvoir politique. Mais l'encadrement politique du risque de "dérapage orwellien" s'imposera, ce d'autant que la bio-ingénierie anti-âge ne se contentera pas de déstructurer la mort, elle s'attachera aussi à améliorer les performances humaines. La fixation des limites à la transgression dans la modification de l'espèce humaine conduira à des oppositions violentes et légitimes.

Les bio-conservateurs pourraient tenter de bloquer cette évolution souhaitée par "les transhumanistes", mais il paraît peu probable que l'ensemble des nations agissent de la même façon... Est-ce la fin de l'unicité de l'espèce humaine ?

La mort joue un rôle psychologique fondamentalement bénéfique. Ne pas mourir, c'est prendre le risque de déprimer, et la mort de la mort sera considérée par certains comme la mort de l'Homme : notre existence ne tire-t-elle pas une partie de son sens de sa brièveté ?

La plus grande inégalité de tous les temps va apparaître entre ceux d'avant la fin de la mort et les autres. Le gap numérique semblera bien mièvre à côté du gap génétique. Notre génération pourrait devenir amère en découvrant que les promesses de la quasi-immortalité ne la concerneront pas...

Une société où l'espérance de vie serait très longue serait confrontée à un risque majeur de surpopulation. Le malthusianisme démographique sera un réflexe partagé, pour maintenir une surface (terrienne) suffisante par habitant... Un moindre renouvellement des générations serait cependant source de sclérose, même si la médecine de la résilience limitera le vieillissement cérébral tel que nous le connaissons aujourd'hui. La polémique franco-française sur la retraite à 70 ans apparaîtra vite dérisoire !

Dans un monde sans mort, l'humanité se cherchera de nouvelles valeurs. Le conflit avec les religions prônant de croître et de se multiplier pourrait devenir aigu. Cette évolution pourrait être à l'origine de la création de nouvelles religions et sectes, à ce moment charnière pour l'avenir de l'humanité, mais le rôle de l'argent pourrait aussi radicalement changer. La culture et l'art qui constituent deux remparts universels contre notre effroi devant la mort, survivront-ils à la vie éternelle ?

La mort pourrait se réduire aux causes accidentelles, criminelles et au suicide, le droit à interrompre sa propre vie devenant un droit fondamental. Le droit à la procréation pourrait devenir subordonné à la réduction de la durée de sa propre vie, compte tenu de la nécessité de contrôler la population totale.

La mort de la mort est, à terme, inévitable. Mais elle va nous obliger à revisiter tous les fondements de l'humanisme.

Laurent Alexandre, docteur en médecine (laurent.alexandre2@gmail.com)






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